Couleur de peau : miel

Publié le par Spooky

http://www.bdtheque.com/repupload/T/T_22052.JPG

 

Aujourd'hui vous aurez droit à une note double. La faute à "Couleur de peau : miel, qui vient de sortir au cinéma. C'est l'adaptation d'une BD éponyme, sortie récemment. Vous aurez donc mes deux appréciations en miroir.

 

Jun Jung-sik errait dans les rues de Séoul quand un policier l’a pris par la main pour l’emmener au Holt, un orphelinat américain. Il avait alors 5 ans. Quelques photos, un rapport d’orphelinat… Ses souvenirs tiennent à un fil. Mais les questions le taraudent.


2007 : Jung décide de remuer les souvenirs ou les fantasmes de sa vie, en tout cas d’en finir avec une certaine période teintée de l’incertitude qui ronge. Il se raconte dans ce récit terriblement intime : sa survie en Corée, sa nouvelle famille belge. Une adoption pas toujours très réussie, contrairement à d’autres gamins.


Mais cette histoire est la sienne : il a grandi avec, s’est construit avec, jours après jours, vaille que vaille. Les fous rires, les drames, le quotidien, les bêtises de gosses et les questions sans réponses… Sans aucune réponse ?

 

 

 

L’adoption est un sujet difficile. Difficile parce que lorsqu’elle est internationale, l’enfant adopté a souvent une couleur de peau différente, et que dans ce cas l’adoption se « voit » tout de suite.
La couleur de Jung est miel. C’est ce qui est écrit dans le dossier d’adoption dont héritent ses parents. Jung est l’un de ces centaines de milliers d’enfants coréens adoptés à l’étranger depuis 50 ans, depuis la fin de la guerre qui a laissé son pays exsangue et rempli d’orphelins.
Jung est un auteur de BD, mais c’est aussi un enfant adopté. C’est une condition avec laquelle il a vécu à partir de l’âge de 5 ans, et cela le suivra toute sa vie. Jung a grandi à Séoul, trouvant sa nourriture dans les poubelles, errant dans les rues. Mais cette vie-là ne l’intéresse plus, sa vie est depuis 36 ans en Belgique, dans la famille Hénin. Une famille où il y a déjà 4 enfants biologiques, et où une petite sœur de Corée le rejoindra plus tard. Une famille où les parents ne sont pas parfaits, mais où il n’a manqué de rien. Une famille, tout simplement. Un entourage qui manque à des milliers d’enfants de par le monde, des enfants qui attendent des parents, des parents qui n’arrivent jamais pour certains. Jung a eu de la chance.
« Couleur de peau : miel » est une autobiographie avant tout. Jung s’est posé beaucoup de questions sur ses origines. Sur sa mère, en particulier. Une mère dont il ne retrouvera probablement jamais la trace, mais à laquelle il n’en veut pas. Au contraire, il éprouve beaucoup de tendresse. L’avantage de ne rien savoir de ses parents biologiques, c’est qu’on peut les fantasmer à loisir. Là aussi, Jung a eu de la chance. Car parfois les origines d’enfants adoptés ne sont pas reluisantes.
Mais l’adoption est un geste merveilleux. Il permet à plusieurs personnes de trouver une famille, à un enfant de s’épanouir, à des parents de combler un manque, de donner tout l’amour qu’ils ont en eux. Cela n’a rien à voir avec de la charité, ni avec une démarche humanitaire. C’est différent.

Jung nous propose donc de plonger dans son histoire, avec ses yeux d’enfant adopté, donc une sensibilité très particulière, car en général ce sont les adoptants qui témoignent de leur expérience au travers de livres, films, etc. Il passe très vite sur sa vie « d’avant », sur laquelle il a visiblement tiré un trait, qu’il a enfouie dans un coin de son cerveau pour l’heure presque inaccessible. Cependant cette introspection a fait remonter quelques souvenirs, et Jung a décidé de se livrer sans fard, et probablement sans tricher. On a donc droit à une histoire très plaisante, avec de nombreux traits d’humour. L’auteur a décidé de ne pas se limiter au sujet de son adoption et de ses conséquences, mais aussi de nous parler de son apprentissage, de son histoire personnelle, comme ce passage très drôle sur son apprentissage de la sexualité.
Remarquons tout de même que les thèmes relatifs à l’adoption (l’abandon, le déracinement, l’identité, l’Asie) parsèment son oeuvre. Quelque part, il avait besoin d’en parler, et cet album lui permet de le faire, de façon plus précise, plus honnête, quelque part.
Pas de misérabilisme, pas de grands discours moralisateurs, pas de sensiblerie à outrance et c’est même un peu « confus ». A l’évidence l’auteur a décidé de coucher sur le papier ses idées presque dans l’ordre où elles surviennent, ce qui lui fait faire parfois des va-et-vient dans le temps. Cela ne gêne aucunement dans la lecture, au contraire ce parfum de spontanéité est tout à son honneur. Cette fraîcheur se ressent aussi au niveau graphique, puisque Jung propose un trait assez différent de ce qu’il fait d’habitude, un trait plus rond, plus « jeté », en un noir et blanc extrêmement lisible.

Cela donne un album essentiel, très fort, duquel l’émotion n’est pas exempt (j’ai par exemple été très touché par cette anecdote d’une jeune fille adoptée aux Etats-Unis qui après avoir retrouvé sa mère biologique, très pauvre, lui offre un somptueux dîner… au cours duquel sa mère ne mange qu’un bol de riz, et à l’issue duquel elle lui donne même quelques wons coréens…), mais qui n’hésite pas à ménager des plages de détente, avec des passages… croustillants. Jung n’aborde pas encore trop la politique d’adoption de la Corée, ni ses conséquences, mais il entrouvre la porte. A lire dans la suite.

A lire absolument, que vous soyez concerné(e) par le sujet ou non.

 

 

 

 

 

 

BD Couleur de peau : miel

Mai 2012. J'apprends, presque par hasard, que Jung va lui-même adapter en long-métage sa BD autobiographique, avec le concours de Laurent Boileau, a priori plus "professionel" de l'exercice, bien que ce fût, à ma connaissance, sa première réalisation.

 

Juin 2012. Le film sort, de façon confidentielle, dans le réseau des salles d'art et essai. Coup de chance, je gagne deux places sur internet. La projection se fait dans une toute petite salle (environ trente places), avec un public relativement âgé.

 


http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/05/63/20102664.jpg

 

Très vite je retrouve le ton qui m'a plu dans la BD, ce mélange très heureux entre récit intimiste, sans masque, et cette faculté de saisir les moments-clés. Le film est un mélange de techniques ; à l'animation traditionnelle, réalisée à partir des dessins de Jung mais aussi de trois collaborateurs parmi les plus réguliers, se mêlent des photos et films d'époque (la famille du jeune Coréen devenu Belge était équipée d'une caméra Super-8), mais aussi d'images d'actualité (en particulier pour montrer l'état de la Corée après la guerre qui amena sa partition, et les raisons qui ont amené l'Etat à se séparer de 200 000 enfants. Il y a aussi des images du voyage que Jung entreprit lui-même il y a deux ans pour retrouver ses racines. Voyage où il n'apprit finalement pas grand-chose, les documents d'adoption coréens étant souvent faux ou copiés...


Au final, un très bon film, dans le ton de l'oeuvre originale, qui n'épargne pas son auteur ni son entourage.

Spooky

Publié dans Films

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
G
<br /> Jne ne connaissais pas du tout Peau de Miel, mais vos écrit m'ont donné envie de le lire, même si comme vous le mentionnez, il ne faut pas forcement être impliqué pour aimer l'histoire, gros<br /> avantage.<br />
Répondre
S
<br /> <br /> Oui, je pense que le propos est universel. Bienvenue sur ce blog, galop :)<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> J'ai bien apprécié la bd, le film m'intéresserait . . . à voir où il est distribué<br />
Répondre
S
<br /> <br /> dans le réseau Art & Essai en France ; en Belgique, je ne sais pas...<br /> <br /> <br /> <br />